«La Gauche remettra à plat la législation des jeux d’argent en ligne»

«La Gauche remettra à plat la législation des jeux d’argent en ligne»

Par Gaëtan GORCE, Sénateur socialiste, le 25/12/2011 | 3 commentaires

Très hostile à la libéralisation des jeux d’argent en ligne en 2010, Gaëtan Gorce a accepté de répondre aux questions de KUZEO, un an et demi après. L’occasion de faire le point et de connaitre les intentions des députés socialistes par rapport aux jeux en ligne si l’Assemblée nationale passe à gauche en 2012.

KUZEO : « Bonjour Monsieur Gorce. Pouvez-vous rappeler les raisons de votre opposition, en 2010, au projet de loi visant à libéraliser les jeux d'argent en ligne ? »

Gaëtan Gorce : Si je me suis opposé à ce projet de loi, c’est principalement pour les raisons suivantes :

Je m’interrogeais, ainsi que mes collègues du groupe SRC (NDLR : Socialiste Radical Citoyen), sur l’opportunité de mettre en place une telle loi. La justification donnée par le gouvernement, à savoir la prétendue nécessité de supprimer le monopole dénoncé par la Commission Européenne, ne tenait pas. D’ailleurs le gouvernement a été désavoué dès septembre 2009 par l’arrêt Santa Casa de la Cour de Justice des Communautés européennes. L’ouverture des jeux d’argent à la concurrence n’était donc pas une obligation ; il s’agissait d’un choix politique du gouvernement qui, nous semblait-il, n’avait pas assez étudié les conséquences d’une telle libéralisation.

J’étais aussi gêné par les conséquences premières de cette loi, qui allait légaliser des dizaines de sites qui agissaient dans l’illégalité depuis des années, sans leur demander des comptes pour ces activités pourtant connues de tous. C’était en quelque sorte récompenser une conduite illégale, et leur donner raison d’avoir contourné la loi pour forcer le gouvernement à se soumettre à leurs conditions.

Ensuite, nous étions très inquiets des moyens limités, notamment sur le plan technique, dont disposerait l'autorité de régulation prévue par la loi pour la faire respecter : comment interdire à un joueur français d’aller jouer sur un site étranger ? La loi votée a finalement répondu en partie à cette interrogation.

Le projet de loi risquait également de déstabiliser le modèle français de financement du sport (223 millions d’euros reversés au sport amateur français, permettant la construction de piscines, de gymnases et autres infrastructures) et plus encore de la filière équine, qui représente près de 70.000 emplois.

Enfin, il nous semblait que ce projet de loi favorisait les intérêts des futurs opérateurs de jeux en ligne, au détriment de ceux des consommateurs et des enjeux de santé publique. On estimait alors à 600.000 le nombre de personnes qui souffrent d'addiction au jeu en France. Parmi elles, la part des demandes d'aide venant des joueurs en ligne a été multipliée par six entre 2005 et 2008. Or, l’on sait que l’addiction augmente proportionnellement à l’offre de jeux.

« 18 mois après l'ouverture à la concurrence, quel bilan tirez-vous de cette libéralisation ? Est-ce un échec ? »

Le terme d’ « échec » n’est pas le plus approprié. Le fait que l’ouverture des jeux d’argent et de hasard en ligne à la concurrence ne réponde pas aux espoirs d’Eldorado me satisfait plutôt. Il va falloir désormais résister à la pression d’acteurs déçus, qui dénoncent le modèle économique trop restrictif que la loi leur impose. Je pense notamment aux récentes déconvenues de Betnet. Il ne fait aucun doute qu’il y a aujourd’hui une poussée vers la concentration de l’offre qui devra nous obliger à réfléchir à l’avenir du PMU et plus encore de la Française des Jeux.

Il faut aussi noter que les recettes qui vont être perçues par l’Etat seront vraisemblablement bien inférieures aux prévisions, ce qui risque d’affaiblir le budget de l’Etat.

Enfin, les problèmes de corruption comme de santé publique restent patents.

« Diriez-vous que l'ARJEL remplit bien ses missions ? »

Il semble que l’ARJEL s’efforce de faire pour le mieux ; c’est plutôt la nature de ses missions qui pose question, ainsi que les moyens qui sont à sa disposition pour faire respecter la loi. Le fait, par exemple, d’avoir limité sa compétence aux seuls sites agréés limite la portée de son travail.

« Ne pensez-vous pas que la loi protège bien les joueurs français (bandeaux préventifs sur les sites agréés par l'ARJEL, limitation des mises, redistribution pour lutter contre la dépendance...) par rapport à la situation ancienne, c'est-à-dire un marché était illégal avec pourtant 3 millions de joueurs qui pariaient de l'argent en ligne ? »

A mon sens les joueurs sont mieux informés, mais pas véritablement protégés. La promotion des jeux d’argent et de hasard en ligne auxquelles nous sommes exposés n’a fait que croître, en particulier lorsque l’on regarde un événement sportif. Les Français sont plus incités à jouer qu’auparavant ; le bandeau préventif obligatoire sur ce genre de publicité est assez anecdotique.

Je ne parlerai pas non-plus de protection dans le sens où de nombreux sites internet gardent un fonctionnement opaque : que dire de l’affaire qui a touché les sites fulltiltpoker.com et pokerstars.com ? La justice américaine s’est saisie des dossiers immédiatement ; en revanche, en France, le problème n’a apparemment même pas été traité : j’ai écrit au Ministère du Budget en septembre, et je n’ai toujours pas obtenu de réponse à ce sujet ; les joueurs français de fulltiltpoker.fr ne pouvaient pas récupérer leur mise, et je n’arrive pas à savoir ce qu’il en est aujourd’hui ; l’agrément de ce site avait été suspendu par l’ARJEL, mais aucune mention visible ne l’annonçait sur le site en question.

Il reste donc beaucoup à faire.

« Que reste-t-il à faire dans l'intérêt des joueurs français selon vous ? Et concernant ceux qui sont dépendants ? »

Beaucoup de choses ! Elargir les missions de l’ARJEL, pour que tous les sites proposant des jeux d’argent et de hasard en ligne tombent sous son contrôle ; rétablir le Ministère de l’Intérieur comme Ministère de rattachement du Comité Consultatif des Jeux, afin que ses missions soient transversales, comme nous l’avions souhaité, et pas uniquement consacrées aux questions financières. Mettre en place un vrai suivi des joueurs dépendants, avec un numéro vert dédié. Même si ce cas est un peu extrême, le fait qu’un joueur dépendant attaque l’État pour ne pas l’avoir protégé est assez emblématique de la situation actuelle.

« Vous parliez d'un engrenage très dangereux, avec des lobbys puissants concernant les jeux d'argent en ligne. Il serait selon vous catastrophique d'étendre la libéralisation des jeux aux casinos en ligne et aux jeux de grattage, jugés les plus addictifs ? »

On a bien vu en 2009 que la loi avait été suggérée au gouvernement par quelques intérêts particuliers qui voyaient dans la Coupe du Monde de foot et d’autres événements sportifs de grande ampleur une occasion d’augmenter leur chiffre d’affaire. Le pouvoir de ces groupes d’influence n’est donc plus à démontrer.

Par ailleurs, le jeu, pour des raisons d’ordre public, doit rester une exception, encadrée, et ses ressources destinées non à la rentabilité d’entreprises privées mais au financement de projets d’intérêt public.

« Si l'Assemblée nationale bascule à gauche en 2012, quelles mesures concrètes souhaitez-vous voir appliquer ? Le parti socialiste souhaite-t-il modifier la loi actuelle des jeux en ligne et dans quelles conditions ? »

La Gauche devra opérer une remise à plat de toute la législation afin de pouvoir disposer d’un bilan complet. Il faudra se tourner ensuite vers l’Europe pour tenter de dégager des approches connues et efficaces en matière de répression. Enfin, le mode de fonctionnement d’opérateurs comme la Française des Jeux devra être réexaminé et leur vocation de service public plus strictement rappelée.

« Quel est selon vous le pays du monde qui a choisi la meilleure politique concernant les jeux d'argent en ligne, afin de satisfaire à la fois une demande réelle et de protéger au maximum les joueurs ? »

Ce modèle reste à inventer !


Crédit photo : JM Tardy

Vos réactions (3)
Bussy régis bar des sports 334, le 28/06/2012

A l'attention de Monsieur Gaetan GORCE Une caution bloquée par ma banque m'a fait perdre mon agrément. Actuellement, le matériel Fançaise des jeux est présent dans mon établissement. Ma demande d'agrément reste sans réponse. Pouvez-vous m'apporter un soutien ? BAR DES SPORTS TABAC - LOTO - BRASSERIE 08, cours du Maréchal Foch 33430 BAZAS Avec mes remerciements, recevez, Monsieur Gorce, l'expression de mes meilleures salutations. Régis BUSSY


Marianne lavabre, le 21/05/2012

Encore un sénateur qui ne comprend rien au poker !! Ras-le-bol ! laissez nous tranquille !!!!!


Jpd, le 02/01/2012

lorsque quelqu'un de responsable et de bon sens s'investit en s'opposant à cette loi perverse, on le soutient. Bravo Mr Gorce