«La plus grande accessibilité aux jeux doit être accompagnée d’un meilleur contrôle»

«La plus grande accessibilité aux jeux doit être accompagnée d’un meilleur contrôle»

Par Dimitri KOHLER, économiste, le 16/12/2009

Dimitri Kohler est spécialiste du jeu d’argent à l’Université suisse de Neuchâtel. Il nous explique de manière sociologique les problèmes que le jeu peut entraîner.

Kuzeo : « Bonjour Monsieur Kohler. Quel est votre travail à l'Université de Neuchâtel ? »

Dimitri Kohler : Actuellement, la base de mon travail consiste à l’élaboration d’une thèse de doctorat liée à la dépendance au jeu. Plus précisément, cette étude vise à évaluer la perte de qualité de vie subie par les personnes dépendantes aux jeux d'argent. Un autre volet de cette étude permettra de mieux comprendre les caractéristiques des joueurs dépendants en Suisse.

En outre, au sein de l’Université de Neuchâtel, je réalise divers mandats dans le domaine de l'économie publique.

« En quoi la crise économique a modifié la relation entre le jeu et les joueurs ? »

D'une manière générale, les joueurs récréatifs paient pour en retirer un certain plaisir. Ces personnes auront tendance à moins jouer et à réduire leurs dépenses lorsque les perspectives économiques deviennent moroses. Ce phénomène est comparable à celui observé dans les autres activités de loisirs. En effet, les individus diminuent ces dépenses en temps de crise, en attendant une embellie économique.

Cependant, les études dans ce domaine montrent que généralement les personnes qui se situent dans un groupe socio-économique défavorisé sont plus concernées par les problèmes de jeu. Une crise économique risque d'accroitre le nombre d'individus à risque, puisque cette dernière a des conséquences négatives sur les statuts socio-économiques.

« Quels sont les populations les plus "à risque" concernant la dépendance ? »

En plus des personnes caractérisées par un statut socio-économique défavorisé, d'autres groupes sont également surreprésentés parmi les joueurs dépendants. En effet, les jeunes sont généralement surreprésentés parmi les joueurs à problèmes, tout comme les individus célibataires, divorcés ou séparés. Enfin, les hommes souffrent également plus fréquemment de problèmes de jeu. De plus, parmi les joueurs à problème, on observe une proportion plus élevée de fumeurs, de consommateurs de drogues ainsi que de personnes souffrant d’abus d’alcool ainsi que de dépression.

A noter que le lien de causalité entre ces facteurs et la dépendance au jeu est ambigu. En effet, il est par exemple difficile de savoir si les problèmes de jeu sont à l’origine des divorces ou des séparations, ou si le fait d’être divorcé ou séparé a contribué à développer une addiction au jeu.

« Quels jeux créent le plus de dépendance ? »

Le potentiel « addictif » d’un jeu dépend de plusieurs facteurs, notamment de la vitesse des tirages et de l’accessibilité. La vitesse des tirages place par exemple les machines à sous dans une catégorie particulièrement à risque, tout comme certains types de paris. Au contraire des loteries hebdomadaires qui, mêmes si elles regroupent un nombre important de joueurs réguliers, ne sont pour ainsi dire pas ou peu touchées par ces problèmes de dépendance. En effet, les tirages sont trop espacés dans le temps pour développer une réelle addiction. D’autre part, une plus grande accessibilité est généralement associée à une proportion plus élevée de problèmes de jeu.

« Quel est le coût social de la dépendance au jeu ? »

Les différentes estimations concernant le coût social varient en fonction de la méthodologie utilisée et des coûts pris en compte. Néanmoins en 1999, une étude australienne faisant office de référence a chiffré de manière très conservatrice le coût social annuel d’un joueur à problème est, au minimum, de 6'000 AUD, soit environ 3 700 euros.

« Dans le projet de loi sur la libéralisation des jeux d'argent en ligne en France, il est prévu 10 millions d'euros pour lutter contre l'addiction. Pensez-vous que l'ouverture va augmenter le nombre de joueurs dépendants ou qu'au contraire, un marché régulé permet de mieux les prendre en charge ? »

Dans la libéralisation des jeux en ligne il y a deux facteurs antagonistes qui jouent un rôle dans les problèmes de dépendance. D’une part, l’ouverture des jeux d’argent en ligne va les rendre beaucoup plus accessibles à la population favorisant donc une augmentation du nombre de joueurs à problème. En revanche, le fait de réguler ce type de jeu permet un meilleur contrôle et une information plus ciblée et donc une meilleure prise en charge des problèmes de jeu.

En Suisse, l’ouverture de 19 casinos sur le territoire ne semble pas avoir créé une augmentation des cas d’addiction au jeu, il semble donc que la plus grande accessibilité ait été compensée par un meilleur contrôle. Cependant, il est à craindre que le contrôle sur les jeux en ligne ne soit pas aussi efficace. Le risque de voir le nombre de joueurs dépendants augmenter est donc bien réel.

« Des organismes comme Adictel aident les joueurs grâce à des psychologues disponibles 24h/24 par téléphone. Quelle serait selon vous une solution pour limiter ce problème de dépendance ? »

Ce type d’organisme est important pour permettre de conseiller et de rediriger les personnes ayant des problèmes de jeu, c’est pourquoi il est nécessaire qu’ils soient bien connus de la population. Il n’y a malheureusement pas de solution unique pour diminuer l’importance de la dépendance au jeu. Un ensemble de mesure visant à contrôler et à encadrer les joueurs est indispensable à la pratique du jeu responsable. En effet, il est très souhaitable de déceler le plus tôt possible les premiers signes de problèmes de comportements pour pouvoir approcher le joueur en question. Cette responsabilité incombe aux instances qui mettent les différents jeux de hasard à disposition de la population.

Cependant, ces instances n’ont aucun intérêt économique dans cette démarche, c’est pour cette raison que l’Etat doit imposer des règles strictes et les faire respecter. D’autre part, il est important de sensibiliser la population, au travers de campagnes d’information, sur les problèmes de dépendances que peuvent entrainer ce type d’activité et sur les solutions et les aides qu’elle peut obtenir, notamment sur des organismes comme Adictel.