«Des licences pour 5 ans vont être accordées aux opérateurs de jeux en ligne»
Par Virginie BENSOUSSAN-BRULE, avocate, le 09/04/2009 | 4 commentaires
Suite à l’annonce du changement de la législation des jeux de poker et de casino, ainsi que des paris sportifs et du « turf », Maître Virginie Bensoussan-Brulé nous a accordé une interview afin d’y voir plus clair sur ces évolutions juridiques. Elle est avocate spécialisée sur la question des jeux d’argent en ligne.
Kuzeo : « En quoi la nouvelle législation va-t-elle profondément modifier le régime actuel des jeux d'argent en ligne ? »
Maître Bensoussan-Brulé : Actuellement, les paris hippiques sont exploités sous forme de monopole par les sociétés de courses de chevaux ainsi que par une structure commune à ces sociétés, le Pari Mutuel Urbain (PMU). Les loteries et les jeux de pronostics sportifs sont exploités sous forme de monopole par une société d’économie mixte majoritairement détenue par l’Etat, la Française des Jeux. Les jeux de casinos sont exploités dans des locaux spéciaux, où l’accès des joueurs est strictement contrôlé. L’ouverture et le fonctionnement d’un casino repose sur une autorisation délivrée par le ministère de l’Intérieur, après enquête et en considération d’un cahier des charges.
Le projet de loi sur l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, basé sur les conclusions du rapport Durieux de mars 2008, a été présenté le 5 mars 2009 par le ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique.
Ce texte ouvre à la concurrence les trois domaines sur lesquels se concentre la demande des joueurs sur internet :
- les paris sportifs : les paris à cote et les paris en direct (live betting) seront autorisés. Le spread betting ne sera pas autorisé car considéré comme trop dangereux pour les joueurs qui ne connaissent pas à l’avance le montant de leurs pertes ;
- les paris hippiques : les paris seront autorisés selon leur forme mutuelle exclusivement ;
- les paris sportifs et hippiques seront limités à des épreuves réelles et à des résultats réels ;
- les jeux de casino : le poker en ligne sera autorisé. En revanche, les machines à sous ne seront pas autorisées, en raison de leur caractère très addictif.
Pour les jeux de grattage et de tirage, le monopole de la Française des Jeux reste inchangé.
« Dans quelle mesure cette nouvelle législation va-t-elle porter atteinte aux monopoles actuels de la Française des Jeux et du PMU ? »
Le monopole de la Française des Jeux n’apparaît pas remis en cause.
En ce qui concerne le PMU et les quelques 200 casinos autorisés, leur monopole ne semble pas non plus remis en cause, mais des opérateurs de jeux d’autres Etats membres pourraient proposer leurs services aux internautes français.
« Les sites proposant ce genre de service devront-ils répondre à des conditions précises pour pouvoir exercer cette activité ? »
Pour exercer une activité de jeux d’argent et de hasard en ligne sur le territoire français, une licence nationale serait requise.
Le texte écarte en effet le principe de reconnaissance mutuelle selon lequel un site de jeux d’argent et de hasard en ligne européen, qui a obtenu une licence dans son pays, peut proposer des activités de jeux en ligne aux ressortissants des autres Etats membres.
Le texte prévoit que des licences gratuites seront accordées pour cinq ans renouvelables, aux opérateurs qui respectent un cahier des charges, précisé par décret en Conseil d’Etat.
Les opérateurs de jeux en ligne devraient obligatoirement :
- avoir une séparation comptable pour les activités exercées sur le territoire français ;
- avoir une domiciliation bancaire des joueurs en France ;
- ne pas anonymiser les moyens de paiement ;
- disposer d’un correspondant permanent en France.
En outre, la conformité des installations des opérateurs de jeux en ligne au cahier des charges devrait être certifiée par un organisme agréé, dans un délai d’un an après l’obtention de la licence.
Enfin, l’autorité administrative indépendante de régulation des jeux en ligne (Arjel) aurait accès à toutes les données techniques et financières indispensables au contrôle du respect du cahier des charges et pourrait, à tout moment, procéder aux vérifications utiles.
En cas de manquement de la part d’un opérateur de jeux en ligne, l’Arjel pourrait prononcer des sanctions pouvant aller jusqu’à la suspension ou au retrait de l’agrément.
« Est-il prévu qu'un système de protection des joueurs soit mis en place ? »
La France justifiait sa politique restrictive en la matière, au regard de la dangerosité des casinos en ligne pour les joueurs compulsifs, de l’impossibilité pour l’administration fiscale de prélever des taxes sur les jeux dans le cas de cybercasinos situés dans des paradis fiscaux, du risque de piratage des sites de jeux, de l’absence de contrôle et de garantie quant à la probité des opérateurs de jeux en ligne, et du blanchiment d’argent.
Le projet de loi prévoit des dispositions afin de garantir l’ordre public et social français :
- les dispositions du Code monétaire et financier seraient renforcées : l’alimentation des comptes joueurs, et donc les mise, serait interdite vers un site non agréé ;
- l’organisation illégale de jeux sur internet serait punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ; peines portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende en cas de bande organisée ;
- la publicité pour des services de jeux ou de paris en ligne ne disposant pas de l’agrément serait interdite et punie d’une amende de 300 000 euros au minimum ; le montant de l’amende pourrait atteindre quatre fois le montant des dépenses publicitaires consacrées à l’opération illégale. En revanche, les opérateurs de jeux en ligne agréés pourraient faire de la publicité sur tout support, de manière encadrée, notamment par le Conseil supérieur de l’audiovisuel pour la publicité télévisuelle, et par l’autorité de régulation professionnelle de la publicité pour internet ;
- le blocage des transactions bancaires et de l’accès aux sites illégaux (blocage de l’accès aux sites illégaux et interdiction de la publicité pour les sites illégaux) ;
- le plafonnement du taux de retour aux joueurs (TRJ). Le plafonnement serait fixé par décret ; le plafonnement envisagé serait compris entre 75 % et 85 %.
Par ailleurs, diverses mesures de lutte contre la dépendance au jeu sont incluses dans le projet de loi :
- plafonnement des mises ;
- plafonnement de l’approvisionnement du compte joueur ;
- plafonnement du solde du compte joueur ;
- versement automatique des gains sur le compte en banque à partir d’un certain montant ;
- indication du temps passé à jouer (horloge) ;
- indication des pertes durant la cession de jeux ;
- possibilité d’autoexclusion du joueur ;
- application aux jeux en ligne de la procédure des interdits de jeux*.
Le projet de loi devrait également prévoir le cas des mineurs. En effet, les mineurs, même émancipés, ne sont pas admis dans les salles de jeux des casinos, et ne peuvent pas conclure un contrat de jeux. Par conséquent, si un mineur joue et gagne, le casino ne pourra pas invoquer la nullité du contrat et le mineur encaissera ses gains par l’intermédiaire de ses parents. Par contre, s’il perd, il ne sera pas tenu des dettes qu’il a contractées.
« Quelles vont-être les conséquences sur le statut des joueurs ? »
Deux risques juridiques pèsent sur les joueurs.
Le premier risque tient à l’application des dispositions du Code civil relatif aux jeux et paris.
L’article 1965 du Code civil dispose que « la loi n’accorde aucune action pour une dette de jeux ou pour le paiement d’un pari ». Ce texte a pour conséquence de priver le joueur en ligne du recours devant les tribunaux français en cas de non-paiement des gains obtenus.
L’article 1967 du Code civil prévoit, quant à lui, l’absence d’action en répétition au cas de paiement volontaire, sauf à démontrer de la part du gagnant, un dol, une supercherie ou une escroquerie. Cette action est donc ouverte en cas de vice du consentement.
Le législateur pose également le principe de l’interdiction de créer une obligation civile aux fins de paiement d’une dette de jeux. Sont ainsi interdits le prêt, la constitution de sûreté, le mandat et les transactions. Pareillement, toute promesse de payer une dette de jeux est nulle.
En second lieu, l’internaute français qui jouerait sur le site d’un opérateur de jeux en ligne non agrée, pourrait être considéré comme complice, sur le fondement des articles 121-6 et 121-7 du Code pénal, de l’activité exercée par le site de jeux d’argent et de hasard en ligne.
* Les joueurs qui ont demandé leur interdiction de casino sont inscrits sur un fichier national recensant les interdits de jeux. Les casinos ont l’obligation de leur interdire l’accès aux salles de jeux, sous peine de nullité du contrat de jeux au profit du joueur.