«Certains joueurs sont prêts à changer de pays pour pouvoir continuer à parier !»

«Certains joueurs sont prêts à changer de pays pour pouvoir continuer à parier !»

Par Gaël, parieur en ligne, le 03/02/2010 | 2 commentaires

Une fois n’est pas coutume, nous accordons une large tribune à un parieur en ligne. S’il est vrai que les débats sur la libéralisation des jeux d'argent dans 4 mois (juin 2010) passionnent les parlementaires, on n’entend jamais le point de vue des joueurs. Et pourtant, Gaël (dit Gagak), qui parie depuis des années, a son (intéressant) mot à dire.

Les internautes seraient-ils les laissés pour compte ?

Kuzeo : « Bonjour. Depuis quand jouez-vous en ligne et à quoi jouez-vous ? »

Gaël : Bonjour. J'ai connu le 1er loto sportif en 1985, notamment avec le GP du Portugal de F1. Mais suite aux "ratés" sur les paris rugby, le loto sportif s'est restreint au football français. J'ai donc mis en sommeil le jeu et les paris jusqu'à l'apparition du Net au début des années 2000. Je n'ai pas joué tout de suite de l'argent, je me suis exercé sur des sites de pronostics gratuits. J'ai franchi le pas en 2003 en m'inscrivant chez mon 1er bookmaker.

Je ne joue qu'aux paris sportifs. Je ne fais pas confiance aux divers jeux de hasard que les casinos peuvent truquer. Je ne joue pas non plus au poker car je ne connais pas et la part de hasard me semble encore trop grande pour y risquer le moindre euro.

J'effectue des paris sur quasiment tous les sports, mais j'évite le football, les sports US et les chevaux. Ils sont trop hasardeux à mon goût mais je connais certains joueurs qui s'en accommodent parfaitement. Plus exotiquement, j'ai pris quelques paris sur les élections US et sur la clôture d'indices boursiers, mais ces paris restent marginaux. Je considère les paris comme un jeu où je peux arrondir mes fins de mois, et en aucun cas devenir riche ou "professionnel". Je parie de manière réfléchie et jamais convulsivement.

Au final, je me définirai comme un parieur raisonnable.

« Cette passion est uniquement en ligne ou bien vous jouez aussi en dur ? Quels sont les points communs et les différences entre le réel et le virtuel ? »

Je ne joue que sur internet. L'offre proposée est bien plus diversifiée et les cotes bien meilleures que celle que l'on peut trouver sur le territoire français.

La FDJ propose surtout des matchs français et son éventail de sports est trop restreint à mes yeux. Certaines disciplines comme le ski ou le cyclisme ne sont pas proposées. Je conviens que la majorité des joueurs s'intéressent plutôt au football et au tennis et qu'ainsi la FDJ propose en priorité ce que la majorité souhaite. Mais la différence de cotes entre la FDJ et les bookmakers du web est, pour moi, la plus grosse différence. Si une rencontre de tennis entre 2 favoris est estimée à 1.91 pour chaque joueur, vous retrouvez une côte de 1.70 au mieux à la FDJ. En gros, si vous gagnez, vous faites 10% de gains supplémentaires en pariant chez un bookmaker en ligne ! Sur la durée, 2 parieurs qui joueraient les mêmes résultats sur les mêmes matchs pourraient être bénéficiaire pour l'un et déficitaire pour l'autre. Vous comprenez facilement le choix des joueurs qui délaissent la FDJ et vont parier sur internet.

Sur Kuzeo, nous vous proposons les meilleurs bookmakers, à vous de les comparer et de choisir celui qui vous convient par rapport à vos attentes.

Autre avantage des bookmakers sur la toile, ils proposent des paris en directs. Si je n'en suis pas fan, c'est un gros plus pour les bookmakers on line : ils peuvent augmenter sensiblement leur chiffre d'affaire. Et je suis convaincu que lors de soirées entre amis, parier pendant un match pimentera l'ambiance. C'est le style de pari fait dans le feu de l'action, pour prouver à ses amis que l'on raison, mais la plupart du temps, ce seront des paris sur un "coup de tête" qui seront perdants. Dans un futur proche, les paris en live seront la "vache à lait" des bookmakers.

Un autre point de différence est le rapport avec l'argent. Lorsque vous misez sur le net, vous ne faites que cliquer pour choisir et valider un pari. Vous n'avez pas la notion d'argent. Alors qu'en réel, si vous jouez plusieurs centaines d'euros en billet, vous ressentez plus le danger et vous reculerez peut-être et miserez moins. De même, lorsque vous venez chercher vos gains à un bureau de la FDJ, vous repartez avec de l'argent liquide, c'est plus "gratifiant" et vous pouvez le dépenser aussitôt. Alors que sur le net, vous avez toujours la somme sur votre compte "joueur" et vous devez le transférer vers votre compte bancaire pour pouvoir en profiter. Avec les différents temps de traitement des virements, le joueur récupère son argent une semaine plus tard quelque fois. Pour les joueurs, c'est souvent bien long et certains rejouent leurs gains… pour les perdre. C'est un piège dans lequel il faut éviter de tomber.

« Selon vous, comment évolue le jeu d'argent en ligne depuis une dizaine d'années ? »

C'est surtout le nombre de joueurs qui s'est développé. Il y a vraiment eu un gros boom en 2004-2005 je dirais.

Les forums sur les jeux en ligne sont bien plus nombreux aujourd'hui, où on voit arriver toutes les catégories de joueurs. Certains ont pas mal de moyens financiers, mais sans rigueur, ils perdent rapidement. Ce sont, en général, les plus silencieux qui s'en sortent le mieux.

Le nombre de sites de paris sportifs a peu augmenté par rapport à mes débuts. Même s'il y a des fusions ou acquisitions, j'ai le sentiment que le nombre reste stable. En tout cas bien loin des 25 000 bookmakers illégaux estimés par M. Jean-François Lamour (NDLR : rapporteur du projet de loi sur la régulation des jeux d’argent en ligne). D'ailleurs, le site Sportbookreview ne doit pas atteindre les 500 référencés. Bien sûr, vous pouvez toujours rechercher des sites développés par certaines mafias, mais il faut être un peu masochiste pour y déposer quelques euros.

Les bookmakers ont élargi leurs offres et beaucoup ont choisi de développer les paris en Live. Certains proposent de visualiser la rencontre au sein même de leur site et de parier sur cette rencontre. C'est la véritable nouveauté par rapport à mes débuts.

Depuis 2 ans environ, les bookmakers offrent un peu tous les mêmes paris sur certains sports: en rallye ou en cyclisme, les H2H proposés sont identiques d'un site à un autre. Ce n'était pas le cas auparavant. Il est vrai que les exemples cités sont des marchés peu liquides, mais on retrouve aussi ce phénomène sur la diversité des paris sur un même match de tennis par exemple (nombre de jeu disputés, handicap, etc...). C'est une restriction dommageable pour l'ensemble des parieurs, et j'ai peur que les bookmakers ne fassent pas marche arrière. Cette offre devrait être encore réduite avec la nouvelle loi pour les joueurs français.

« Voyez-vous l'ouverture des jeux d'argent en ligne d'un bon œil d'un point de vue "joueur" ? »

Ma réponse est forcément négative.

Il ne s'agit pas d'une ouverture mais d'une restriction ! Les sites illégaux ne seront plus accessibles (il faut comprendre qu'ils ne pourront plus faire de publicité sur le territoire français) et les sites légaux proposeront une offre de paris moins attractive et moins rémunératrice pour le joueur.

Il faut bien comprendre la psychologie du joueur pour tenter de proposer une loi cohérente. Lorsque vous gagnez, vous ne souhaitez pas gagner moins. C'est une évidence ! Il est nécessaire de bien comprendre que le joueur gagnant ne supportera pas de voir diminuer ses gains. S'il souffre d'addiction légère, il sera alors tenter de jouer plus pour gagner autant qu'auparavant. Un comble, n'est-ce-pas ? J'admets que c'est une minorité de joueurs mais elle existe et il ne faut pas l'écarter. Pour les joueurs perdants, il est illusoire de croire que de baisser le taux de retour aux joueurs les fera jouer moins ! Il se pourrait même que celui qui perd à cause de ce retour moins important, jouera encore plus pour se refaire. On obtiendra exactement le contraire du but recherché.

J'ignore quels bookmakers demanderont une licence, mais leur Business Model doit compter sur un nombre élevé de joueur, ce que je doute.

Une réflexion qui n'engage que moi : je crois que certains bookmakers créeront leur site en .fr, pourront faire leur propre publicité et continueront à proposer leur site en .com en acceptant les joueurs français. Je ne vois pas comment l'ARJEL ira fouiller dans les bases de données de ces bookmakers basés à l'étranger.

Je fais aussi une petite parenthèse sur l'article 52 du projet de loi. En résumé, cet article impose de demander l'accord de l'organisateur de la manifestation sportive pour éviter les tentatives de triche. Bel effort mais que dire aujourd'hui de la FDJ qui propose des paris sur les matchs de foot étrangers ? Elle a demandé l'approbation de ces ligues ? Et surtout le fera-t-elle lorsque la loi sera votée ? C'est à nouveau un artifice. Le réveil de certains organisateurs ou présidents de fédérations est trop tardif pour nous faire croire qu'ils ne veulent pas une part du gâteau. Pourquoi ne réclament-ils leur approbation que depuis 1 an ou 2 ? Ils ignoraient que les paris existent depuis 10 ans sur le net et bien avant chez certains pays limitrophes français ? Sous couvert d'impartialité et de proposer des rencontres "propres", le but non avoué semble bien être de récolter aussi une partie des enjeux. La majorité n'est pas crédible. S'ils affirmaient clairement leurs prétentions, cela passerait bien mieux.

Encore une fois, cette taxe d'organisation se fera sur le dos des joueurs avec des cotes moins attractives et donc inciteront encore une fois, les parieurs français à surfer chez les bookmakers illégaux.

« Continuerez-vous à jouer sur des sites qui n'auront pas de licence délivrée par l'ARJEL ? »

Question indiscrète !

Les contraintes et restrictions imposées par la future loi française sont trop sévères pour les joueurs. Ceux-ci connaissent aujourd'hui des libertés de jouer qu'ils ne sont pas prêts à abandonner. Si certains admettent une taxation pour financer les aides contre l'addiction, d'autres refusent clairement un si faible taux de retour.

Il existera des moyens pour contourner les interdictions ; il suffit de voir ce qui se passe dans certains pays pour comprendre que la prochaine loi sur les jeux d'argent en France n'est viable. Internet n'a pas de frontière et légiférer sur ce moyen de communication ne peut se faire à échelle d'un seul pays. C'est une utopie de vouloir interdire les sites "illégaux" sur le territoire français.

Il est aussi nécessaire de pencher sur la psychologie du joueur. En manque, il trouvera toujours un moyen de contourner les règles mis en place. Seule une interdiction de jeu au sein du bookmaker peut l'empêcher de se ruiner.

Je ne suis pas porte-parole des joueurs français, et mes propos suivants ne sont qu'un report de mes lectures sur différents forums de paris sportifs. Sans divulguer de secrets, certains joueurs (notamment les pratiquants du betting-exchange) sont prêts à changer de pays pour pouvoir continuer à parier et d'autres prévoient déjà de créer des domiciliations à l'étranger. Il y a peu de joueurs qui arrêteront à cause des nouvelles règles.

« Mais la libéralisation pourra, en théorie, entraîner une meilleure protection des joueurs mineurs… »

C'est un beau rêve de croire que la libéralisation des jeux en France permettra de lutter contre l'addiction et d'empêcher les mineurs de jouer. Aujourd'hui, n'importe quel mineur peut dépenser ses étrennes dans un bureau de la FDJ ou faire son tiercé au PMU au coin de sa rue. Et je ne développe pas les stratagèmes utilisés par les jeunes pour contourner la limite de la majorité pour jouer sur le Net. Le gouvernement français présente sa loi pour éviter ces dérives, mais elle est déjà obsolète avant son vote devant le sénat.

Dans une interview à France Inter, le ministre Jean-François Lamour a annoncé que les gains des joueurs mineurs seront bloqués. C'est un non-sens ! Il prend le problème à l'envers. Il faut interdire leur inscription et non pas les autoriser à jouer (et à perdre ?) et les empêcher de récupérer leurs gains.

Avec cette règle, on ne peut que conclure que l'état veut prendre sa part de taxe sur le jeu ! Une précision très importante : les bookmakers les plus courants possèdent déjà des contrôles et certains sont même plus restrictifs que ceux prévus par le législateur. Un argument supplémentaire pour ne pas comprendre le but de la future loi française, ou penser que le législateur est incompétent sur le sujet, ou encore croire qu'il veut récupérer les taxes qui lui échappent depuis 10 ans.

En tout cas, l'avis majoritaire des parieurs est que cette loi est "liberticide" et que les mesures pour lutter contre l'addiction sont bien trop timides ou irréalisables. Il y a bien trop d'incohérences dans cette loi pour que tous les acteurs du jeu en ligne soient satisfaits.

Il est toutefois indispensable de prévoir des soutiens aux joueurs en difficulté. Certains sites de bookmakers le proposent déjà (Gambling Therapy par exemple) et l'article 20 du projet loi est bien maigre et peu détaillé sur la lutte contre l'addiction.

« Patrick Partouche estime, pour faire simple, que l'ouverture à la concurrence va renforcer les monopoles de la FDJ et du PMU. Qu'en pensez-vous ? »

Très perspicace M. Partouche ! Mais j'estime qu'il raisonne surtout au niveau franco-français. Je comprends tout à fait qu'il veuille créer un bookmaker sur le territoire national et que les lois actuelles l'empêchent de développer son entreprise. Mais les taxes prévues sur les différents jeux n'attireront pas le joueur français. Il restera les opérateurs historiques et 2 ou 3 mastodontes. Les autres opérateurs quitteront la France car leur rentabilité ne sera pas assurée. Ne serait-ce pas le but recherché par ce projet de loi ? Cependant, les joueurs français iront voir ailleurs si l'herbe n'est pas plus verte grâce à internet et ils ne resteront pas longtemps chez les opérateurs historiques.

Mon opinion personnelle est que si la loi n'évolue pas après 1 an ou 2 ans, il ne restera effectivement que les monopoles actuels dans le futur. La majorité des joueurs français auront contourné les interdictions et le gouvernement aura tué les entreprises françaises privées du jeu.

J'espère me tromper, mais je ne crois pas que le modèle voulu par ce projet de loi soit viable : la majorité des joueurs ira jouer en dehors des frontières françaises et l'Etat ne ramassera que des miettes. Insuffisantes pour mener à bien une politique efficace contre l'addiction et autres maux du jeu.

Vos réactions (2)
Vince, le 25/06/2010

Excellente analyse Je suis très déçu par la nouvelle loi sur la légalisation des paris qui va à l'encontre de toute éthique et justice "outre frontière". Bwin.com devient bwin.fr et profite de cette loi pour ponctionner les parieurs de +5% en moyenne sur leurs côtes. Conséquences: plus de perdants et pas moins de joueurs (donc pas moins d'addiction potentielle) et un grand gagnant: Bwin. L'Etat est aussi le grand gagnant, non? Pourrait-il avoir l'honnêteté de contraindre les Bookmakers agréés à proposer les mêmes côtes, quel que soit le pays où l'on se trouve (Europe oblige????) Bwin prend une plus grosse commission qu'avant grâce à bwin.fr. Le bwin.fr est bien plus lucratif que le bwin.com (lucratif pour le bookmaker biensûr). Merci la loi française! Les Français sont-ils vraiment naïfs et les politiques d'une incroyable incompétence face aux mannes financières telle que Bwin. Accepter la loi française sans faire aucune concession et tout reporter sur le parieur lésé d'un pourcentage supplémentaire: Bravo Bwin! Vous ferez encore plus d'accros et plus de perdants. Exactement ce que la loi française essaie de contrecarrer. Belle pirouette prévisible de Bwin Quelle déception que l'ETAT se fasse berner aux dépens de ces citoyens! Un parieur est-il un malade, un pervers, un infréquentable, au même titre que ne l'étaient les boursicoteurs, il n'y a pas si longtemps??? Il n'y a aucune tentative de prise de position politique dans cette lettre. Ce n'est pas un "accro des jeux" qui l'écrit mais un passionné de sport qui, jusqu'à présent ne s'est jamais fait flouer par quelque bookmaker que ce soit. Mais les mesures législatives privent de plus en plus chacun d'entre nous de libertés relatives qui sont un élément de légitimité d'une démocratie telle que la nôtre (en voie de destruction).


David, le 19/06/2010

bravo pour tes commentaires gael, je suis tout a fait d'accord. Je parie moi même et je confirme que cette nouvelle loi ait une catastrophe pour les parieurs. Pour 100 euros de mise, on peut aller jusqu'à 25 euros de perte à cause de cela. Encore une fois le gouvernement montre son incompétence en prenant des décisions sans se renseigner aupres des principaux concernés : les joueurs français ! Personnellement, je suis prêt à changer de pays !