«Le métier d’opérateur de jeu en ligne se rapprochera de celui d’une banque»

«Le métier d’opérateur de jeu en ligne se rapprochera de celui d’une banque»

Par Juliette DE LA NOUE, Benjamin JACOB et Olivier KUHN, Le Geste, le 30/01/2010 | 1 commentaire

A la veille des débats au Sénat sur le texte visant à réguler les jeux d’argent, les 23 et 24 février prochain, le Geste nous apporte de précieux éléments quant à leurs travaux.

Protection des joueurs mineurs, examen des licences, article 52 du projet de loi qui suppose des négociations entre les bookmakers et les organisateurs de compétitions sportives : ils nous donnent leur point de vue et nous permettent d’y voir plus clair.

  • Juliette de la Noue (à gauche sur la photo) : Directeur Ethique et Jeu Responsable, Mangas Gaming, président du groupe de travail « droit au pari » du Geste ;
  • Benjamin Jacob (en bas à droite) : Avocat, Cabinet PDGB, président de la commission « jeux en ligne » du Geste ;
  • Olivier Kuhn (en haut à droite) : Directeur des opérations Média Télécom chez Atos Worldline et président du groupe de travail « technique » du Geste.

Kuzeo : « Dans le cadre du projet de loi relatif à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, le Geste a précédemment publié des recommandations, sous la forme de chartes de bonne conduite, portant sur l’authentification des joueurs, la protection des mineurs, la lutte contre l’addiction et la publicité. Où en est-il de sa réflexion aujourd’hui ? »

Benjamin Jacob : A l’approche de l’examen du projet de loi par les sénateurs, le Geste souhaite apporter sa contribution. Au sein d’un cadre de concertation, nous relevons les points pouvant encore soulever des difficultés ou nécessiter un réajustement. Cette réflexion commune et multi-acteurs aboutira à proposer des amendements, certains étant rédactionnels, d’autres proposant des alternatives sur le fond.

La publicité constitue un aspect fondamental du projet de loi. La visibilité de l’offre légale, au travers de la capacité de communiquer sur son offre de jeu, constitue une contrepartie aux contraintes encadrant l’ouverture du marché. Naturellement, l’opérateur de jeu devra mettre en œuvre une politique marketing socialement responsable. Nous poursuivons par conséquent une démarche d’identification et promotion des bonnes pratiques dans le domaine publicitaire dans le cadre d’une régulation déontologique.

« Quels aspects du projet de loi vous semblent à optimiser ? »

Olivier Kuhn : Citons-en quelques uns relatifs à la protection des mineurs. En la matière, nous avons réfléchi pour identifier de bonnes pratiques à partir de l’état de l’art. Or le projet de loi est précis sur ce sujet et met à la charge de l’opérateur de jeu certaines obligations qui devront être précisées. En particulier, l’opérateur de jeu sera tenu, au titre d’une obligation de résultat, de bloquer la participation d’un mineur à une activité de jeu. Cette obligation est d’une rédaction très générale : elle soumet l’opérateur de jeu à une obligation de résultat sans définir quels moyens permettraient de la satisfaire. Par ailleurs, elle ne correspond pas à l’état de l’art car l’authentification de l’âge de l’internaute n’est pas fiable à 100% en ligne actuellement.

« La date réelle d’ouverture du marché demeure aujourd’hui incertaine du fait des retards pris. Doit-on garder l’espoir ? »

O.K. : Nous verrons bien quelles échéances pourront être tenues…

Aux nécessaires délais dus à la procédure législative en cours, à la mise en place de l’autorité ARJEL et à l’attribution des agréments après examen des dossiers des opérateurs de jeu candidats se rajoutent des obstacles prévus par le projet de loi lui-même. Ainsi, dans un souci de traçabilité des opérations de jeu, l’opérateur devra développer un « frontal » servant d’interface de transit et de stockage des données de jeu. Cette interface supposera un temps de développement conséquent et d’importantes contraintes liées à un haut niveau de sécurité qui sera exigé de l’opérateur de jeu.

La mise en œuvre de l’article 52 du projet de loi supposera par ailleurs une phase de négociations bilatérales entre un opérateur de paris sportifs et les mouvements sportifs détenteurs des droits d’exploitation sur les évènements sur lesquels ils souhaiteront proposer des paris. Pouvoir proposer une offre de paris diversifiés supposera par conséquent des négociations avec une multiplicité d’interlocuteurs, ce qui ne peut que ralentir l’émergence de l’offre légale de paris en ligne.

Les opérateurs souhaitant demander un agrément pour une activité de jeu d’argent ne devront pas négliger les contraintes techniques et organisationnelles nécessaires qui leur seront imposées. Le métier d’opérateur de jeu en ligne sera au final plus proche de celui d’une banque en ligne que d’un acteur du monde l’internet !

« Revenons sur la mise en œuvre de l’art 52, quelle est la position du GESTE sur ce qu’on appelle le "droit au pari" » ?

B.J. : L’article 52 du projet de loi institue un droit d’exploitation sui generis portant sur l’organisation de paris sportifs sur un évènement donné. Il peut faire l’objet d’une exploitation commerciale par son détenteur et donc à des négociations et des appels d’offre mettant les opérateurs de jeu en concurrence. En vérité, ce dispositif risque de profiter aux mouvements sportifs ayant un poids économique important et d’amener les opérateurs de jeu à surenchérir et acquérir des droits à des prix prohibitifs pour de plus petits concurrents, qui ne pourront donc pas proposer des paris sur ces évènements pourtant incontournables au sein d’une offre de paris.

Le budget que l’opérateur pourra consacrer à l’acquisition de droits sportifs sera par ailleurs limité. Les opérateurs de jeu pourraient être tentés d’obtenir à tout prix les droits sur des évènements de football, quitte à délaisser des disciplines sportives de moindre importance.

Juliette de la Noue : L’article 52  du  projet de loi consacre un « droit au pari », droit qui n’existe nulle part ailleurs en Europe. Si nous ne souhaitons pas revenir sur les fondements juridiques contreversés d’un tel droit, nous ne pouvons que nous réjouir de la volonté qui préside à cette disposition : rapprocher le monde du sport et celui du jeu pour garantir un sport plus éthique et des rencontres plus sincères. Rappelons que les sites de paris sportifs proposant des paris à cote fixe comme requis sur la quasi-totalité du marché, sont les premières victimes des matchs truqués. Mais il apparait que cet article tel qu’il est rédigé aujourd’hui manque d’un certain pragmatisme compte-tenu du contexte : il revient à ajouter un 2ème niveau d’agrément, après celui de l’ARJEL, pour les opérateurs de paris sportifs, ces derniers étant dans l’impossibilité d’exercer leur profession en l’absence d’accord. De plus, cela revient de facto à réduire l’offre proposée, les accords risquant de se limiter naturellement aux offres majeurs ie le football et le tennis, ces deux fédérations capteront l’ensemble des flux financiers générés par les paris sportifs au détriment de fédérations moins médiatisées mais aussi bénéficiant de moyens financiers bien moindres. Ainsi l’objectif initial méritoire du gouvernement de développer un sport plus éthique et plus sincère, par ailleurs consubstantiel à l’existence même des fédérations sportives, semble avoir été dévoyé. Outre la difficulté de mise en œuvre pratique d’une telle mesure et l’absence de précision qu’elle revêt sur les modalités de son application (périmètre de l’offre, territorialité, actifs incorporels couverts, type de rémunération…), son esprit semble donc contraire à la participation à un financement global de la filière sportive professionnelle qui aurait pu être assuré par la contribution à un fonds mutuel pour un sport éthique.

Nous réfléchissons donc à une nouvelle articulation de l’article 52 du projet de loi. Plutôt qu’une mise en concurrence des opérateurs, nous préférions que soit accordée à tout opérateur de pari agréé par l’ARJEL, sauf motif légitime, la possibilité d’organiser des paris sur un évènement sportif faisant partie de la liste préalablement définie par l’ARJEL en collaboration avec les fédérations et les ligues sportives, comme le prévoit le projet de loi.

Une telle possibilité pourrait prendre la forme d’une licence légale donnant lieu au versement d’une rémunération. Un impératif de sécurité juridique et de visibilité justifierait la définition en amont des modalités de détermination de cette rémunération, par voie réglementaire par exemple. Ces modalités de détermination pourraient être définies de telle manière que la source de financement procurée par le « droit au pari » bénéficie à toutes les filières sportives détenant des droits sur des évènements faisant l’objet de paris.

Enfin, comme il est actuellement prévu au sein du projet de loi, des modalités de coopération entre opérateurs de jeu et mouvements sportifs devront être définies en vue d’une lutte contre la fraude et la tricherie.

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Tp, le 15/02/2010

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