Lettre envoyée aux parlementaires pour des Etats Généraux du gambling

Lettre envoyée aux parlementaires pour des Etats Généraux du gambling

Le 26/03/2018

Madame, Monsieur,

Je voudrais attirer votre attention sur l'économie et la sociologie des  jeux de hasard et d'argent. Alors que le gouvernement s'apprête à ouvrir le capital de la Française des jeux, privatisation sur laquelle les Français sont « réservés » selon Les Echos (1) Il est grand temps que députés et sénateurs se prononcent sur une refondation de la Politique Des Jeux de la France, politique qui a fait la part trop belle jusqu'à présent aux mesures liberticides, au principe de précaution, aux associations rigoristes anti jeu et surtout à la doxa du jeu pathologie maladie et aux addictologues qui exploitent le business du jeu compulsif. Le jeu - cet impôt démocratique volontaire -  est un élément de sociabilité populaire, un secteur de l'économie des loisirs et du tourisme qui rapporte des devises à la France, non une pathologie. Par son coté aléatoire, il est même pour de nombreux Français et  Français d’origine étrangère une « force égalitaire » (2).

Fait social et culturel très ancien le jeu n'est pas une maladie, c’est un loisir, une passion qui a même parfois des effets thérapeutiques grâce à l'espoir qu'il suscite, aux socialités qu'il entraîne. Loteries, casinos, hippodromes font  partie en outre du patrimoine ludique national. Les 200 casinos hexagonaux  associent jeux traditionnels, machines à sous, hôtellerie haut de gamme, restauration, spectacles, festivals… et attirent une clientèle internationale. La filière hippique (qui « hâte le pas en Chine » (3) suite « au geste diplomatique et d’amitié » d’Emmanuel Macron qui a offert un hongre de la garde républicaine au Président Xi Jinping) fait rayonner la France dans le monde (Grands Prix, ventes de yearlings) Mais que serait cette filière sans ses 6,5 millions de turfistes qu’une mesure liberticide voudrait identifier ?

Les 44 700 points de vente de proximité (12 800  pour le PMU, 31 900 pour la FDJ) jouent un rôle social  insoupçonné dans la vie de nos villes, quartiers et campagnes. L'hypocrisie  ctuelle apparaît donc contre-productive, nonobstant les conflits d'intérêts entre Bercy, la FDJ, la doxa du jeu pathologie maladie et l’observatoire des jeux (installé à Bercy), conflits d’intérêts qui pourraient un jour intéresser  Bruxelles et la Commission Européenne.

Cette politique ambiguë gêne les opérateurs. Les casinotiers ont perdu 24 % de leur volume d'affaire en sept ans, le  PMU  stagne voir recule. Seule la FDJ fort de monopole en profite (14,3 milliards en 2016 ; 15,1  en 2017 ) mais pour combien de temps ? L'opérateur historique a perdu 1,6 millions de joueurs en six ans. L’État n’assume pas de vouloir exploiter franchement la manne ludique. Il y a sous couvert de sante publique et  de lutte contre le jeu des mineurs  ( comme si on pouvait faire disparaître la socialisation ludique contemporaine qui assure la reproduction des joueurs, sans parler de la transmission ludique intergénérationnelle ) un fond de morale qui considère le jeu comme une passion funeste, un péché.

La représentation nationale issue des dernières élections doit dépasser les a priori qu’elle a parfois sur les jeux d’argent pour  rebattre les cartes de ce dossier qui concerne plusieurs millions de nos concitoyens. Une commission pourrait préparer des "Etats  Généraux du gambling" en dur et en ligne afin que les différents acteurs du champ ludique puissent débattre (opérateurs, personnels, chercheurs spécialisés et pas seulement les addictologues qui veulent médicaliser les passions des Français…,mais aussi la société civile et notamment les joueurs  -1° parti de France ! - qui finance totalement ce secteur. La France a désormais besoin d'une politique des jeux ambitieuse, pragmatique, transparente, « généreuse » (4)… qui soit en harmonie avec la nouvelle donne politique.

Une belle opportunité a été manquée avec l'implantation d'un casino à Paris. Suite au rapport du préfet Duport, favorable au projet, Anne Hidalgo a répondu que ce n'était pas sa tasse de thé !(5) En attendant que ce projet d’envergure international soit étudié plus sérieusement par le gouvernement, suggérons-lui  de relancer l’impôt ludique en organisant une mégaloterie, comme le font les Américains avec le Powerball (6) et comme le perpétuent les Espagnols depuis 1812 avec la Loteria de Navidad. En relançant l'impôt ludique, l'Etat ne ferait en réalité que renouer avec l'histoire. Les loteries importées d'Italie par Casanova ont fait rentrer de l'argent dans les caisses publiques et les révolutionnaires de 1789 ont transformé la Loterie royale en Loterie nationale, un impôt citoyen. La manne ludique a ensuite aidé les gueules cassées de la Grande Guerre et, en 1933, les parlementaires ont réintroduit la Loterie pour lutter contre les calamités agricoles. Dans toutes ces époques, le jeu n'était pas synonyme d'addiction mais de solidarité. Comme l'a précisé le professeur Pierre Tremblay (Université du Québec, Montréal), l'exploitation par les Etats des jeux de hasard est un phénomène universel dont la finalité originelle est humanitaire et vise le développement du bien commun.

Recevez Madame Monsieur mes respectueuses salutations.

Jean-Pierre G. MARTIGNONI-HUTIN (mars 2018)

  • Sociologue (Université Lumière, Lyon 2)
  • Chercheur associé au Centre Max Weber (CMW) UMR 5283
  • Membre suppléant  et rapporteur à la Commission Nationale des Sanctions (CNS Paris Bercy)
  • Sociologue,  Chargé d’étude (2011-2015) à l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne
 (ARJEL , Paris)
  • Président fondateur de l’Observatoire des jeux (ODJ)

NOTES

(1) Privatisation d’ADP et de la FDJ : les Français réservés «  (Les Echos du 20 mars 2018, pages 1,4)Selon le sondage sur «  Les Français et les privatisations »  EcoScope réalisé par Opinion Way pour les Echos et Radio classique : les français souhaitent :
- que l’Etat garde ses actions (32%) situation actuelle
- que la FDJ soit privatisée (26%)
 -que la FDJ soit nationalisée (21%)
-que l’Etat vende une partie de ses actions mais demeure actionnaire(18%)
(2) Florence Weber, » le travail d’a coté, une ethnographie des perceptions » ( Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales, 2009). F. Weber rapporte dans cet ouvrage que le « gout du hasard » qu’elle a constaté en milieu ouvrier est perçue comme « une force égalitaire ».
 (3) « La filière hippique française hâte le pas en Chine » ( Christophe Palierse, Les Echos du 5 mars 2018)
(4) =  »Jeux d’argent et solidarité « (4 pages, 14 notes, décembre 2017, publié sur : lescasinos.org du  21/12/2017 ; casino legal France  du 22/12 )  Sous titres de l’article : A/ = Grand Loto de Noel = « Stéphane Pallez (PDJ de la FDJ) comme vous exploitez la nativité à des fins mercantiles, redistribuer aux plus démunis les bénéfices de cette loterie de Noel serait un geste à la symbolique forte » B/ =Fond ludique mondial/loterie caritative : la puissance des jeux de hasard et d’argent ( JHA) pour affronter l’immense misère du monde.)
(5)JP Martignoni  /« Paris, Macao, la Tour Eiffel …et Anne Hidalgo «  : alors que Paris  a rejeté  le projet d’un casino parisien, Macao  inaugure un gigantesque resort - The Parisian - qui exploite les symboles  de notre capitale » (7 pages,  17 notes, octobre 2016 ) publié sur lescasinos.org du  19/10 2016)
(6) JP Martignoni : «  Le Powerball : un phénomène social qui devrait donner à penser aux « politiques » (9 pages,  27 notes, mars 2016) publié sur : lescasinos.org du  29 mars  2016